
Bonjour Catherine et merci d’avoir répondu présente à notre invitation.
C’est un plaisir de te retrouver Amandine ! Des années que nous travaillons ensemble, de temps à autre. Et toujours dans le plaisir !
Merci Catherine. Veux-tu nous expliquer le parallèle que tu fais entre les personnes en excès de poids et celles de + de 50 ans ?
Les personnes sont toutes différentes, n’est-ce pas. Les femmes ont pour point commun cette exigence qui pèse sur elles, ça s’appelle des diktats. Elles subissent dès l’enfance des injonctions à « faire attention », elles doivent correspondre à une norme, une seule norme de morphologie : jeune, mince, tonique. C’est un drame pour beaucoup d’adolescentes qui voient leur corps se transformer. Elles n’acceptent pas la puberté. Certaines entament des régimes et voilà le cercle vicieux de la fabrique de l’obésité (parfois l’anorexie, les TCA…) qui se met en route. Hommes et femmes n’ont pas les mêmes exigences de genre qui pèsent sur eux. Les femmes sont beaucoup (beaucoup trop) ramenées à leur plastique. C’est un héritage millénaire que les féministes dénoncent, à juste titre. Car nous avons toutes et tous introjecté ces pré-jugés. Même en en prenant conscience s’en détacher n’est pas simple. Mes 20 années de travail dans l’obésité m’ont permis de bien comprendre tout cela. Les femmes en vieillissant deviennent également hors champ. Puisque le seul modèle de beauté serait « jeune, mince, tonique ». Quand Monsieur Yann Moix a fait sa sortie sur les femmes de + de 50 ans « invisibles sexuellement » ayant des « corps pas du tout magnifiques » tu comprends que j’ai immédiatement associé les Grosses aux Vieilles ?
Toute leur vie, on le sait, les femmes trop en chair souffrent d’une image de soi et d’une confiance en soi détériorées par les regards de l’autre…. S’y confronter est très dur. Es-tu d’accord ?
Tu le sais, je n’aime pas les généralités. Chaque personne est singulière et il existe des gens bien dans leur peau ayant des kilos en trop (par rapport à la norme !) et d’autres dont l’IMC est tout à fait normal qui vont mal. Tout simplement, les corps sont différents !
Mais évidemment, avec tous ces messages sociaux enjoignant à la minceur il est très compliqué de rester fier de soi en dehors des clous. Le regard de l’autre améliore ou détruit le narcissisme primaire. C’est, vois-tu, exactement la même chose pour les « Trop grosses » et les « Trop vieilles ». La transparence d’un regard les fait passer dans un no man’s land. Être reconnu-e comme objet digne d’amour est constitutif de l’être humain. Je le rappelle sans cesse, nous arrivons non finis sur terre, tout nourrisson a besoin de l’autre pour survivre. C’est engrammé en chacun, chacune de nous ! Aussi l’invisibilité rend malades ! Même si on n’a aucun projet sexuel avec untel, le fait d’être condamné-e à l’invisibilité démoralise. Ajoutons que certains individus reprennent des propos « vus à la télé » et s’en donnent à cœur joie pour humilier dans les ateliers, les bureaux ou les familles… Tout ce mépris est sadique.
Ça se ressent dans leur parcours de vie, de désir, de plaisir, nous le savons dès que nous discutons un peu sérieusement avec ces femmes, c’est vrai. Comment peut-on leur donner des armes pour contrer ces stéréotypes ?
Pour aider à redresser la tête, encore une fois, il n’y a pas de recettes mais des outils que chacun, chacune doit s’approprier. Une fois ce préalable énoncé, la prise de conscience est toujours la 1ère étape. Ça, c’est un invariant. On ne peut lutter que contre ce qu’on a repéré. Ensuite, sortir de la place de victime et passer de la douleur intense à une peine gérable. La honte bloque. C’est pour ça que mon livre a un titre et une couv’ qui font dans la provoc’. On a besoin de prendre de la distance, si tu veux. Tant qu’on est (dans notre entièreté) impacté-es par une source de déplaisir c’est plus compliqué. Aussi, relativiser est une marche vers l’empowerment. Ce mot à la mode signifie de reprendre le pouvoir sur sa vie, ne pas se laisser définir par l’extérieur. L’autodétermination peut parfois être complexe. Je passe mes journées à aider des patients et des patientes à y arriver. C’est un objectif, donc on prendra le temps qu’il faut mais on avance. Et chemin faisant, déjà, ça va de mieux en mieux. Pour des raisons appartenant à chaque personne, dans l’histoire individuelle, se trouve des clés. Mais aussi, dans le contexte socio-culturel se trouvent d’autres clés, là où on agit collectivement. A plusieurs niveaux, en s’associant les uns aux autres, avec des partenaires positifs et quittant ceux qui sont toxiques mais aussi étant construits par le grand monde, les médias, les livres, les films, tout y participe. Voici pourquoi depuis 2007 je publie !
Dimanche 18 octobre, pour la première fois, il y a eu beaucoup d’articles pour la journée mondiale de la ménopause. On voit effectivement qu’un voile se lève. Est-ce bien une journée mondiale, au fait ?
Une journée mondiale a toujours le mérite de faire parler d’un sujet. Comme la ménopause est un véritable tabou, tant mieux ! Mais attention de ne pas médicaliser a priori cette étape dans la vie de toute femme (si elle n’est pas morte avant 45 ans !). Que l’on soigne c’est bien mais que l’on associe une simple étape à une pathologie, non ! C’est exactement comme avec la prise de poids. Ce n’est pas parce qu’une personne est en excès de poids qu’elle deviendra forcément obèse et qu’elle aura obligatoirement des comorbidités ! La politique du chiffre, IMC, âge, nie l’humain. Les kilos ne rendent pas plus identiques deux personnes que l’âge !
Il y a autant urgence à mettre au pluriel les obésités que les ménopauses.
A la fois pour permettre aux femmes concernées une latitude subjective que pour cesser de faire régner la pensée binaire qui décapite toute réflexion.
Cette liberté retrouvée permet de résoudre d’autant mieux les éventuels désagréments vécus avec une prise de poids et d’âge. Parce qu’on affronte toujours mieux les difficultés quand on va bien, quand on a le moral… Les kilos comme les années ne caractérisent pas un individu ! Personne ne se réduit à un seul de ses aspects. Ce rappel est déjà jouissif en soi !
Catherine, la lecture de ton livre est effectivement source de plaisir. C’est déjà ça ! pour terminer, je terminerai par une réflexion marrante. As-tu pensé à lancer une collection de sextoys ? (éclats de rires sous les masques !)
Ah, c’est extra… Je n’ai pas encore réfléchi à cette éventualité ! N’ayant pas trop le sens des affaires, j’aurais besoin d’associé-es… Je suis ouverte à ta suggestion 😊
Dans cet essai, j’avance l’idée de lieux sur le modèle des Auberges de jeunesse. Là où partout dans le Monde, dans les grandes villes en tous cas, lors d’un voyage les jeunes savent qu’il y a une possibilité de convivialité (et plus si affinités). C’est quand même plus sympa que la solitude d’un hôtel ! Ces Auberges de + de 50 (y seront acceptés des gens ayant envie et quelques années de moins…) peuvent aussi être des chambres d’hôtes, repérées par un logo (tu sais comme les dogs friendly)… Je lance un appel aux gens qui ont le sens des affaires !
L’idée est de briser la solitude. J’ai déjà écrit qu’elle tue plus que l’obésité. C’est tout autant vrai pour les gens prenant de l’âge.
En cette période COVID (très spéciale) toutes ces réflexions sont encore plus d’actualité. La vie est courte, on peut en profiter sans écouter les paroles désobligeantes, sans leur accorder plus d’importance qu’elles ne le méritent.
Pour terminer ma réponse à ta question pertinente et impertinente, je vais essayer de te surprendre.
La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres. C’est un principe éthique. Lorsque l’on a un pouvoir, on a aussi des responsabilités. L’un ne va pas sans l’autre.
La « liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui »
(art. 4 de la Déclaration des droits de l’homme)
Photo article : Martine Lerasle. « Il n’y a pas d’âge pour jouir » / ED Larousse / 15,95 euros
Retrouvez Catherine Grangeard sur son site : https://catherinegrangeard.blogspot.com/
Photo de Martine LESRALE….
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